Il y a des jours où je m’étonne moi-même, et
dans ces cas là c’est rarement dans le bon sens.
Imaginez un petit port de plaisance de la côté
Oléronaise, un soir d’été, quelques étoiles qui décorent la voute céleste, le
clapotis des vagues qui murmurent contre les coques de voiliers et une douce
brise qui vous enveloppe comme un duvet moelleux, toute prête que vous êtes à
aller rejoindre Morphée après une belle journée en mer.
Ca c’est pour le côté poétique de ce post, je
ferais moins ma maligne après.
Imaginez encore cette belle journée en mer. J+3
de votre stage sous la coupe d’un skipper qui répond à tous les clichés d’un téléfilm
du jeudi soir sur M6 soit : buriné, bourru, solitaire, un peu vieux
garçon, un vieux garçon peu prompt au compliment. Capitaine Igloo vous en a pourtant
gratifié d’un –de compliment– et ce, pas plus tard que l’après-midi même,
compliment aussi inattendu que valorisant car il ne visait pas à qualifier la
manière dont votre short Décathlon en synthétique déperlant rehausse
avantageusement votre énorme popotin mais bien celle dont vous avez réalisé avec
brio l’amarrage de son voilier.
Un « Bon j’le dis pas souvent ... mais
bon... vous vous débrouillez pas trop mal, ca va » qui vaut toutes les
mains au cul du monde par Javier Bardem c’est moi qui vous le dit (Capitaine
Crochet lui en revanche garde ses mains dans ses poches il est gentil merci).
Cette journée avait donc été magnifique :
du soleil, un peu de vent pour gonfler les voiles, une partie de toboggan
aquatique au moment de barrer sous spi (oui je fais encore ma connasse, vous
inquiétez pas, ca va pas durer) et le plus beau nœud de taquet que vous ayez
jamais réalisé, réalisé justement lors de l’amarrage. La journée parfaite donc (Javier
Bardem en moins) et qui ne pouvait que se clôturer par une soirée parfaite.
Et à 22h27 c’était bien parti pour (oui 22h27,
ca va le vent ca crève et vous êtes gentils j’ai plus 19 ans) : dents brossées,
pipi réglementaire évacué, Biafine consciencieusement appliqué sur un visage quand
même bien rougeau, la botte de paille sur le somment de mon crâne enfin démêlée,
l’esprit insouciant et légèrement guillerette après cette splendide journée de
navigation, ne me restait plus qu’à remonter sur le bateau pour aller bouquiner.
En plus j’étais tranquille, les autres étaient tous partis s’encanailler au bar
(ou s’envoyer en l’air dans les marais salants allez savoir), le bateau était
donc tout à moi.
La trousse de toilette sous le bras, l’Iphone
encore bouillant des SMS que j’avais enfin réussi à envoyer dans la main, je
cheminais gaiement seule sur le ponton, sotte que j'étais. Tiens voilà le
bateau, tralala encore 10m sur le ponton, encore 5 et je tourne sur le catway,
je tourne sur le catway, encore 2m, encore oh meeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee………rde !!!
Me voilà à la flotte.
Que s’était-il passé ? Sûrement une
histoire de distance mal évaluée, de rétrécissement du ponton mal considéré, de
catway pas éclairé putain c’est pas possible d’être aussi imprévoyant, trou noir,
attaque de Daesh, ou intervention des martiens peu importait, honnêtement à ce
moment-là la seule chose à laquelle j’ai pensé c’est « ok donc là je suis
à l’eau ».
A l’eau et toute seule.
Réfléchis, réfléchis, réfléchis.
A cet instant mon ange gardien qui était parti
se faire un sandwich a eu la bonne idée de repasser. Merde mais qu’est ce qu’elle
trafique encore celle-là? C’est pas vrai je peux pas aller bouffer deux
secondes sans qu’elle se ramasse quelque part. Et il s’est mis à réfléchir avec
moi.
Regarde. Ponton. A ta gauche. Gauche. Non l’autre
Gauche. Ok pose-ton-téléphone-et-ta-trousse-de-toilette-dessus. Mon ange
gardien n’a pas vraiment le sens du timing mais il est pragmatique quand il le
faut.
Ça s’était fait. Bon que fait ta main droite maintenant ?
Ah, elle est agrippée à l’amarre du bateau du voisin. Bien c’est sans doute pour ça que tu n’as pas basculé la tête la première dans l’eau croupie. Ok. Mon ange
gardien a posé son panini quatre fromages et m’a aidé à récapituler. Donc te
voilà 1) en pyjama, 2) suspendue comme un saucisson à l’amarre du bateau du
voisin, 3) le corps dans de la flotte dégueulasse. Bien.
Mon ange gardien s’est gratté la tête et s’est
concentré. Ok mets tes pieds sur le ponton pour voir. Fait. Qu’est ce que ça
donne ? Pieds sur le ponton + bras accrochés à l’amarre => cul toujours
dans la flotte. Non ça n’allait pas.
Réfléchis, réfléchis. Après avoir pris un peu
de recul pour mieux évaluer la situation, mon ange gardien qui est un peu
salaud parfois a fait la grimace en estimant à -58 mes chances de parvenir à faire
un rétablissement comme dans les films avec Tom Cruise grâce à mes abdos en
mousse. Faut trouver autre chose. Réfléchis, réfléchis, réfléchis.
Ok. Je sais, le bateau se rapproche du ponton
2m plus loin, vas-y fais la tyrolienne.
Cette fois-ci, c’est moi qui ait fait la
grimace. Oui je sais a rétorqué mon ange gardien, si quelqu’un te choppe à
faire le cochon-pendu au beau milieu de la nuit sur l’amarre d’un bateau au
milieu du port, ta dignité ne s’en remettra jamais c’est sur, mais tu ne vas pas
non plus passer la nuit à pendouiller comme un string abandonné sur une corde à
linge, là faut y aller. Aller vas-y ! Aller, une main en avant, et puis l’autre
encore encore encore, haut-hisse la saucisse, a crié mon ange gardien, haut-hisse,
pose tes pieds sur ce foutu ponton, soulève tes grosses fesses et …….saute!
Ca y est !
Et j’y étais. Debout sur le ponton, haletante, le
pyjama collé à mes cuisses ruisselant des litres d’eau sale, mes chaussures
bonnes à jeter, des dizaines de bleus qui commençaient à gentiment moutonner
sous ma peau, et un fou rire qui montait, qui montait.
C’est à ce moment-là que le propriétaire du
bateau voisin, sans doute alerté par le bruit de baleine échouée que j'avais fait en me fracassant contre la
coque de son voilier a fait son apparition.
Complètement affolé. « J’ai entendu un grand bruit ça va ? »
Moi, l’air hagard « Absolument oui merci »
« Euh, mais qu’est ce qui s’est passé ? »
« Ah ça », regard vers mon pantalon
dégoulinant. « Ben… ben alors en fait rien, c’est juste euh.. enfin j’ai
fait tomber ma trousse de toilette à l’eau »
A cet instant mon ange gardien a décidé que je
n’avais qu’à me démerder avec mes explications pourries, que si c’était pour en
arriver là il n’aurait même pas du se déranger et il est parti se faire un
loto.
Le voisin a regardé mon pantalon dégoulinant, puis
ma trousse de toilette parfaitement sèche et il a dit « Ah bon ? »
J’ai relevé la tête « Oui c’était ça le
bruit »
Tout en hochant la tête, le voisin a re-dit « ah
bon ? »
Ben non ducon tu vois bien que je suis tombée à l’eau !
Aussi impassible que la Reine d’Angleterre qui
viendrait de trouver un nudiste dans sa cuisine j’ai pourtant confirmé : « Oui
et du coup, enfin … du coup j’ai du aller dans l’eau pour la récupérer ».
Voilà.
Le voisin a écarquillé les yeux et n’a plus
rien dit. Royale je lui ai souris, ai effectué un gracieux demi-tour et lui ai
souhaité une bonne soirée avant de regagner mon bateau comme si de rien n’était.
J’ai même réussi à résister à l’idée de me retourner pour le regarder, certaine
qu’il était en train d’appeler Sainte Anne ou Cyril Hanouna pour me faire passer dans le grand bêtisier de l'été.
Une fois sur le pont, j’ai prié mon ange gardien
de revenir deux minutes pour faire le guet, puis très tranquillement je me suis
mise en culotte, très élégamment j’ai essoré mes vêtements qui sentaient le
mazout (et sans doute aussi un peu la pisse) et avant que le fou rire ne me
fasse définitivement perdre tout contrôle, d’un pas digne et assuré je suis
rentrée en slip dans ma cabine.
Comme une princesse.